L’initiative est originale. Depuis 2017, les forces de l’ordre néerlandaises distribuent des calendriers présentant des affaires non élucidées dans les prisons. Le but ? Inciter les détenus à livrer des renseignements qui permettent de résoudre ces enquêtes anciennes. Et ça marche : une dizaine de « cold cases » ont ainsi été rouverts.
Des photos de ses petits-enfants décorent le mur blanc de sa cellule. Enfermé depuis « quatre ans, trois mois et cinq jours », libérable quelques jours plus tard, Michel, 59 ans, est l’un des prisonniers du centre de détention de Sittard, dans le sud des Pays-Bas.
Face à son lit recouvert d’une couverture bleue s’affiche un calendrier bien particulier. Dessus, la photo en noir et blanc d’un jeune homme de 29 ans, Maarten Redeker, retrouvé sans vie le 16 mars 2007 dans son appartement de La Haye.
Le texte précise qu’il était gay et avait plusieurs contacts avec d’autres hommes sur des sites de rencontres. A ce jour, ni sa famille ni la police ne savent comment il a été tué. Ni par qui.
Distribué à 8000 détenus, le calendrier des affaires non résolues a coûté 100 000 euros à la police.
Des tuyaux en échange de gratifications pécuniaires
C’est pour débloquer des affaires anciennes non élucidées que les forces de l’ordre néerlandaises ont conçu ce calendrier qui présente 52 cold cases (« enquêtes gelées » en anglais) de meurtres, traites d’êtres humains, viols ou disparitions. Il est distribué dans tous les centres de détention et maisons d’arrêt des Pays-Bas.
La police propose aux détenus qui disposent d’indices sur l’un des dossiers présentés de la contacter : si leurs informations mènent à la réouverture de l’enquête, ils reçoivent de l’argent. Dans le cas de l’assassinat de Maarten Redeker, le calendrier annonce, par exemple, une récompense de 15 000 euros. Et cela fonctionne.
En 2017, 78 indices ont ainsi été fournis par des détenus, dont 32 étaient utilisables. Ils ont permis aux enquêteurs de relancer une dizaine des cold cases présentés dans le calendrier de l’année. La police reste discrète sur les réouvertures de dossiers, pour ne pas donner trop d’espoir aux familles et ne pas indiquer de quelle prison proviennent les indices. Mais, pour dix affaires, la justice a assigné des moyens supplémentaires, avec une équipe de policiers renforcée.
L’idée du cold case kalender est née dans le cerveau de Jeroen Hammer, lors de son stage aux Etats-Unis, en 2010. L’ancien informaticien reconverti en policier passe alors deux semaines avec un agent du FBI, le service de renseignement intérieur américain, et se rend dans une prison où une version test d’un jeu de cartes sur lesquelles figurent des affaires non élucidées vient d’être mise en place.
« Il n’y avait pas encore d’équipe consacrée à ce type de dossier dans la police néerlandaise, j’ai donc retenu le concept », se souvient-il. Quand, en 2013, la police est restructurée, un service spécifique est créé dans chaque région, avec des policiers travaillant à plein-temps sur ces enquêtes jamais réglées.
Jeroen lance alors des études pour développer son projet. Les résultats montrent que, dans 10 % des affaires résolues, les informations proviennent d’un détenu ou d’un ancien détenu. Et que, dans le pays, au moins 800 personnes savent quelque chose à propos d’un cas non élucidé.
Après un an passé à classer les archives, Jeroen Hammer propose à ses chefs de constituer un jeu de cartes. Le procureur met son veto car il n’apprécie pas la dimension ludique du support. « On a retravaillé le projet. Comme on avait 52 cas et qu’il y a 52 semaines dans une année, le calendrier s’est imposé », se félicite le policier.
Envoyé dans cinq prisons tests, celui-ci a reçu 66 % d’avis positifs chez les détenus. Quatre mois plus tard, les calendriers – qui ont coûté 100 000 euros, pris sur le budget de la police – ont donc été distribués aux 8 000 prisonniers du pays.
« Le traumatisme du meurtre irrésolu atteint toute la famille »
Grâce à ce nouvel outil, Kitty Bonnet espère enfin connaître la vérité sur la mort de son mari, il y a près de vingt ans. Le 11 juin 1999, son conjoint, Hans Schonewille, était tué par balles sur un parking, en pleine campagne. A l’époque, Kitty avait voulu publier une annonce dotée d’une récompense à l’intention d’éventuels témoins, mais la police ne lui en avait pas donné la permission.
« J’ai attendu des années, j’appelais, j’écrivais des lettres aux enquêteurs, j’étais désespérée. Je voulais juste des réponses à des questions simples : qui ? comment ? pourquoi ? » souffle la veuve. En 2015, elle reçoit un appel de Johan W. Peet, un membre de l’équipe des cold cases de La Haye, qui souhaite la rencontrer.
Depuis plus de deux ans, il travaille sur le meurtre de Hans, à la recherche de nouveaux suspects. Il interroge les témoins, retourne sur la scène de crime, analyse le dossier pour voir ce qui a pu échapper aux précédents enquêteurs – un témoin n’a pas été entendu, le téléphone de la victime, jamais retrouvé…
En 2017, Johan propose à Kitty de faire figurer l’assassinat de son mari dans la première édition du calendrier. Au début, le principe n’a pas rassuré les enfants de Kitty : « Ils ont eu peur que quelqu’un essaye de me tuer parce que je voulais des réponses, explique-t-elle. Mais ces réponses seront un réel apaisement car le traumatisme du meurtre irrésolu de Hans a fait tache d’huile. Il atteint toute la famille. »
Des détenus proposent des améliorations du dispositif
Si les proches des victimes hésitent à participer au projet, les principaux freins viennent des prisonniers sollicités. Dans sa cellule de Sittard, Michel, qui est délégué des détenus, raconte comment il leur a présenté le projet : « Je leur ai dit que s’ils savaient quelque chose, il fallait qu’ils appellent leur avocat. Je leur ai expliqué qu’il y avait un numéro anonyme, que la démarche était sérieuse et les histoires, touchantes. »
Mathijs, grand brun taiseux incarcéré depuis trois ans, nuance : « Ça reste la prison. Ici, c’est la loi du silence. Y a une pression et faut être prudent. On ne voudrait pas mettre en danger notre famille en donnant des infos sur un homicide. Et ce n’est pas un plaisir de regarder des présentations de crimes toute la journée. Il y a des gens que ça déprime. »
Rob V., responsable de quatorze surveillants pénitentiaires du centre, a noté des différences de réactions face au calendrier : « Certains détenus ne veulent surtout pas participer, pour ne pas être considérés comme des balances. Mais cela éveille aussi l’intérêt. Il y a une semaine, un prisonnier m’a demandé comment il devait procéder car il avait une information. Je lui ai répondu de prendre contact avec la police par mail ou par téléphone… Et il l’a fait ! »
Pour atténuer la méfiance de tous, Jeroen Hammer et son équipe animent des ateliers en prison. « Au début, on a senti qu’ils n’étaient pas emballés à l’idée de rencontrer des policiers, se souvient Roel Wolfert, enquêteur de 28 ans, cheveux en crête et jean. Mais, quand on leur a expliqué que l’on faisait le calendrier pour les proches de victimes, qui pensaient chaque nuit à la manière dont leur parent avait été tué, sans savoir par qui ni pourquoi, les prisonniers étaient émus. Ils ont suggéré que, dans l’édition 2018, on leur fournisse plus d’informations sur les familles. Cela a été instructif pour nous. »
Des détenus ont proposé d’autres améliorations concrètes, comme trouer le haut du calendrier pour qu’il puisse être accroché dans les cellules, ou le traduire en cinq langues. En mars, Johan et Kitty ont assisté à une réunion rassemblant les familles de victimes des cold cases cités dans les calendriers.
« C’était réconfortant de sentir une connexion entre nous tous, retrace Kitty. Si, un jour, un détenu veut accomplir une bonne action, il peut jouer un rôle capital en donnant une information. Cette opportunité donne de l’espoir. L’espoir de savoir enfin et de pouvoir faire notre deuil. »
—
Grand Angle Pays-Bas n’est pas l’auteur ni le propriétaire de cet article. Il est ici relayé pour mettre en valeur un aspect des Pays-Bas en français.
Source de l’article …