Fermer les prisons pour mieux les rouvrir

Photo : Prison de Koepelgevangenis (cc) Wikimedia Commons / G. Lanting

Les portes des pénitenciers seront bientôt closes aux Pays-Bas. En trois ans, dix-neuf prisons sur la soixantaine que compte le pays ont été désaffectées et près d’un tiers des cellules sont vides. Il devrait y en avoir plus de 3 000 libres d’ici 2021. Plusieurs raisons expliquent cette situation extraordinaire. D’abord, une chute significative du taux de criminalité. Ensuite, les autorités adoptent une conception pragmatique de la justice, privilégiant les solutions efficaces à l’enfermement pour des raisons morales. Autrement dit, elles favorisent la réinsertion plutôt que l’incarcération, et les peines alternatives, tel le port du bracelet électronique. Cette politique coûte moins cher et limite aussi la récidive. Si bien que le nombre de prisonniers est en chute libre depuis des années. Non sans « problèmes » logistiques… que beaucoup aimeraient pouvoir se poser, notamment en France où les prisons débordent.
Que faire de ces places libres ? Libérales, les autorités néerlandaises ont trouvé une solution : louer l’espace et le service. 500 prisonniers belges et 242 norvégiens ont ainsi été transférés dans ces établissements. La Norvège a signé un contrat de trois ans et déboursé 25 millions d’euros pour bénéficier de la prison de haute sécurité de Norgerhaven, avec un accord : un directeur norvégien, des gardiens néerlandais. Ce n’est pas tout ! Certains bâtiments ont été transformés en logements sociaux pour des familles, notamment ceux de centre-ville. Enfin, alors que près de 59 000 migrants auraient afflué aux Pays-Bas en 2015, le gouvernement a décidé de mettre les cellules vacantes à disposition des demandeurs d’asile, transformant les pénitenciers en centre d’accueil pour réfugiés, le temps que leurs demandes soient examinées par l’administration. Vastes cuisines, terrains de sport, jardins : tout a été aménagé pour rendre ces prisons confortables. Les murs d’enceinte et les barbelés ont été ôtés. « Nous voulons que les gens se sentent bien et en sécurité », selon Jan Anholts, porte-parole de l’Agence centrale pour l’accueil des demandeurs d’asile. Mais le temps passant et la situation provisoire tendant à se pérenniser, la controverse enfle.
« Le réseau carcéral

[…] a été le grand support, dans la société moderne, du pouvoir normalisateur »
Michel Foucault
Les critiques s’élèvent pour dénoncer ce qui ressemble ni plus ni moins à une autre forme de contrôle des « déviants », de ceux qui sont en marge de la société, pauvres, migrants ou réfugiés, comme si l’État après avoir contrôlé le « circuit de la criminalité » cherchait désormais à contrôler un « circuit de l’exclusion », qui conférerait aussi une nouvelle fonction aux prisons vidées. Dans ses cours au Collège de France, Michel Foucault se penche sur la naissance de la société disciplinaire, cherchant à comprendre comment, au tournant du XVIIIe siècle, la privation de liberté devient la seule punition imaginable et comment il est progressivement de moins en moins question de mettre hors d’état de nuire et de plus en plus de surveiller et de contrôler la déviance, par un système de normes. À ce titre, il n’est pas anodin que 300 réfugiés aient été logés dans la prison de Koepelgevangenis, à Haarlem, construite comme un panoptique, d’où chacun peut être vu à tout instant à partir d’une tour centrale. Le philosophe, cofondateur du Groupe d’information sur les prisons (GIP) fait de ce type d’architecture carcérale le paradigme de la société disciplinaire. Il montre combien cette normalisation des conduites s’étend même hors des maisons d’arrêts. « Le réseau carcéral, sous ses formes compactes ou disséminées, avec ses systèmes d’insertion, de distribution, de surveillance, d’observation, a été le grand support, dans la société moderne, du pouvoir normalisateur », écrit Foucault dans Surveiller et Punir, en 1975. C’est que les prisons ne sont pas seulement des établissements ; elles relèvent aussi « d’une technologie politique du corps », d’un dispositif de surveillance qui s’est largement développé jusqu’à faire désormais des pénitenciers un modèle de lieu de vie. Abandonnés faute de détenus, ils se sont paradoxalement ouverts à toute la société, déployant leur logique carcérale.

Source Philomag


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